Pour les fêtes, chez mes parents, on met rarement les petits plats dans les grands. De mémoire, on n’a jamais vraiment fait des dîners gargantuesques pour les réveillons. L’ambiance est plutôt à profiter du moment passé en famille qu’à se compliquer la vie à cuisiner des plats impossibles. En revanche, il y a certaines « traditions » qui n’ont jamais vraiment été violées.

– Les huîtres : elles ne figurent pas forcément au menu des réveillons, mais il y a forcément un moment autour des deux où mon père aura une envie d’huîtres et profitera du marché pour en ramener une douzaine.
– Le foie gras : il y a quelques années, ma mère le préparait encore elle-même, à partir de canards gras ou d’oies qu’elle allait acheter chez une voisine. Et la période des fêtes était toujours une bonne occasion d’en ouvrir un bocal. Pas forcément parce que c’est la coutume de la fin d’année, mais plutôt parce que c’est une des rares occasions où toute la famille est réunie pour la partager. Cette année, comme le stock de foie gras maison était épuisé, j’ai donc réclamé un foie frais pour préparer un pressé de foie gras aux pommes.
– Les coquilles Saint-Jacques : ça, c’est le péché mignon de ma mère. Il lui faut ses coquilles Saint-Jacques quand on se retrouve à la période des fêtes. Cette année, comme la précédente, c’était moi qui étais chargé de les préparer. Et j’avais envie de changer de la recette des années précédentes (à la normande). Sauf que loin d’internet (qui ne passe pas chez mes parents…) et des mes bouquins de cuisine, c’est pas forcément évident de trouver des idées innovantes…

J’ai donc voulu me raccrocher à un autre classique des repas de famille : les pâtes. L’année dernière, ma mère et ma grand-mère m’ont expliqué comment faire les tagliatelles à la main de A à Z. Depuis, chaque fois que je redescends à la maison, je profite d’avoir la place et le matériel (un grand rouleau, une grande planche pour l’étalage, et une petite planche pour la découpe) pour m’entraîner à les préparer. Du coup, pour les fêtes, j’ai voulu faire d’une pierre deux coups en cuisinant des tagliatelles aux Saint-Jacques !

Pour les tagliatelles, la théorie est assez simple. D’abord, il faut mélanger des œufs (environ 1,5 par bon mangeur) et de la farine. Pour la quantité de farine, c’est à l’œil et au toucher : il faut juste que la pâte ait une consistance de pâte (ou, comme dirait ma grand-mère : « mais la farine, tu le vois, quand il faut arrêter d’en mettre, t’arrêtes d’en mettre »). Ensuite, il faut pétrir. Aussi fort et aussi longtemps que possible (comme ça, les pâtes se tiennent bien). Chacun a son geste pour le pétrissage, l’essentiel c’est qu’à la fin ça donne une pâte à la fois ferme et élastique, et surtout bien homogène.
Une fois la pâte pétrie, on l’étale. Pour l’étaler, il y a plein de gestes techniques que ma mère et ma grand-mère m’ont montré. Déjà que j’ai eu du mal à comprendre en regardant, je vois difficilement comment l’expliquer à l’écrit. En gros, il ne suffit pas d’appuyer sur le rouleau, sinon on va pas loin… Il faut enrouler la pâte sur le rouleau en l’étirant délicatement pendant qu’on l’enroule, et la dérouler de la même manière, en étirant un peu (ma grand-mère et ma mère ont chacune leur geste à elle pour ça ; moi, j’enroule sur le rouleau avec une main, et j’étire en maintenant la pâte avec l’autre). Et à chaque fois qu’on réenroule, la pâte est retournée (le dessus passe dessous, et on lui fait faire un quart de tour). Il faut aussi fariner suffisamment la pâte pour ne pas qu’elle se colle ni qu’elle se troue, mais pas trop non plus sinon elle sèche et elle se déchire. Bref, globalement, on finit par arriver à une pâte fine, d’épaisseur égale partout (ça, c’est le plus dur : pour que les bords soient aussi fins que le centre et que ça ne fasse pas de trous, il faut de la pratique !). Encore une fois, il y a quelques gestes à connaître pour tester si la feuille de pâte est assez fine : par exemple, quand on la secoue un coup comme un drap (mais pas trop fort), ça doit plus ou moins faire une bulle d’air dessous. Si ça la fait pas, il faut continuer à étaler… Si on n’arrive pas à comprendre le geste, on fait à l’œil. En Italie, j’ai une grand-tante qui étale sa pate sur un vieux drap, d’une part parce que le drap donne une légère texture à la pâte (elle est moins lisse, donc elle accroche mieux la sauce après la cuisson), et d’autre part, parce que dès qu’elle voit le drap à travers la feuille (par transparence), elle sait que c’est assez étalé (bon, de toute façon, elle fait des pâtes tous les jours depuis plus de 60 ans, donc elle a plus besoin de ça pour savoir…)
Une fois la pâte étalée, il faut la laisser sécher une bonne heure, en la couvrant d’un grand torchon (ou d’un drap plié, selon la taille de la feuille). Pendant ce temps, on peut soit s’occuper de faire une sauce, soit préparer un autre plat, soit sortir de la cuisine et aller faire autre chose. Au choix. Moi, ce jour-là, j’ai choisi de préparer ma sauce aux Saint-Jacques.

La veille, ma mère avait mis des noix de Saint-Jacques à dégeler dans un mélange d’eau et de lait. Je les ai égouttées (en gardant un peu de liquide de côté), épongées dans du papier absorbant, et coupées en 3 ou 4 (parce qu’elles me paraissaient un peu grosses pour être mises en sauce…). Je suis ensuite allé cueillir deux poireaux au jardin, et prendre deux oignons à la cave. J’ai mis l’oignon émincé à blondir dans une grosse noix de beurre. Pendant ce temps, j’ai lavé les poireaux et j’en ai émincé les blancs. Pile poil le bon timing : j’ai pu les ajouter aux oignons juste au moment où ils commençaient à devenir transparents et à accrocher ! J’ai ensuite versé l’équivalent d’une tasse à café du liquide des Saint-Jacques et d’un demi verre de vin blanc (du Pacherenc sec), saupoudré d’un peu de sel et de gingembre, et laissé cuire à feu doux pendant une dizaine de minutes (le temps que les poireaux deviennent fondants). J’ai réservé ça au chaud, et j’ai remis ma poêle (vide) sur feu vif. J’y ai mis une nouvelle noix de beurre, et j’ai fait revenir les noix de Saint-Jacques pendant quelques minutes. J’ai versé l’eau qu’elles avaient rendu sur mon mélange oignons / poireaux, remis sur le feu vif, arrosé d’un peu d’armagnac (quelques centilitres) et flambé. Une fois la flamme éteinte, j’ai rajouté un nouveau demi verre de vin pour déglacer un peu. Et enfin, j’ai remélangé les légumes et le jus avec les noix, et j’ai laissé mijoter ça à feu doux et à couvert le temps de finir de m’occuper des tagliatelles.

Pendant que ma sauce continuait de mijoter un peu, il ne me restait plus qu’à couper et à cuire les pâtes. Pour la découpe, il faut bien fariner la feuille sur les deux faces (je farine d’abord la première face, je plie la feuille en deux, je farine, je retourne, je farine). Ensuite, je plie en accordéon (ça doit faire une bande d’environ 5cm de large), et je découpe des bandes de la largeur d’une tagliatelle. Bon, chaque fois que j’en fais, mon père me dit soit que c’est trop fin, soit que c’est trop large, et pourtant, je ne pense pas varier la largeur de plus d’un ou deux millimètres… Tout ça pour dire qu’on s’en fout, l’essentiel est que ce soit régulier ! Et au fur et à mesure de la découpe, pour éviter que les tagliatelles ne se collent, je les déplie et je les étale sur la grande planche où elles finiront de sécher (le temps que tout le monde arrive pour se mettre à table et que la sauce soit terminée).
Pour la cuisson, rien de plus simple : je mets tout dans une grande marmite d’eau bouillante salée, je remue un peu au début pour éviter que les pâtes ne se collent entre elles, et au bout d’une ou deux minutes (quand l’ébullition reprend et que les tagliatelles remontent à la surface), c’est cuit. Il n’y a plus qu’à verser ça dans un plat ou un saladier (préchauffé, de préférence, s’il y a parmi les invités quelqu’un d’aussi pointilleux que mon père sur le sujet…), avec un peu de sauce au fond et un peu de sauce par-dessus (pour mieux mélanger ensuite). Et en général, même si c’est raté, le simple fait que ce soit fait à la main rend le résultat plus qu’appréciable ! À condition de ne pas avoir à la maison quelqu’un qui a été nourri aux tagliatelles parfaites pendant des années…

Bref, au final, ça m’a appris à improviser un plat en fonction des attentes bien spécifiques de mes parents (des Saint-Jacques pour ma mère, des tagliatelles aussi parfaites que possible pour mon père). Et accompagné du reste de la bouteille de Pacherenc sec, c’était une merveille ! Même si les tagliatelles étaient trop larges… Mais c’est promis, l’année prochaine, je m’appliquerai mieux : je ferai du riz !